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Palme d’Or à Cannes, cette œuvre magistrale, poétique et minimaliste consacre l’immense talent de Jafar Panahi. Un portrait choral au parfum de thriller sur les conséquences de la dictature iranienne. Un geste de cinéma qui subjugue par son sens de l’humanité, envers et contre tout
Iran, de nos jours. Un homme croise par hasard celui qu’il croit être son ancien tortionnaire. Mais face à ce père de famille qui nie farouchement avoir été son bourreau, le doute s’installe…
Alors qu’il demeure dans le collimateur du régime iranien après des emprisonnements et des interdictions de quitter le territoire, Jafar Panahi continue à prendre des risques pour, clandestinement, s’exprimer à travers le cinéma. Un art qu’il maîtrise si bien depuis le début des années 1990 et l’arrivée sur les écrans internationaux du Ballon blanc, sa première œuvre couronnée de la Caméra d’Or à Cannes.
Tous ses films sont plébiscités et régulièrement primés dans les plus grands festivals. Ils dénoncent à travers la fiction les ravages sur les êtres et la pensée libre d’une dictature au pouvoir. Tourné dans des conditions que l’on imagine très difficiles, Un simple accident n’a pourtant rien d’un film inabouti, frustrant, à l’imagination et à l’écriture escamotées par les dangers du réel, du besoin d’aller vite et du manque de moyens. Bien au contraire, le minimalisme et l’âpreté de la mise en scène sont ici les signes extérieurs d’un geste de cinéma volontaire et maîtrisé, d’une pensée artistique ayant le désir clair de coller et de retranscrire la part la plus sensible du réel. C’est du cinéma direct qui croit à la durée longue et aux vertus du plan-séquence pour laisser le monde extérieur, le vrai, infuser dans la fiction.
Tendu de bout en bout, Un simple accident est une immersion dans une société en souffrance, aux brûlures vives provoquées par une dictature qui martyrise, emprisonne et tue celles et ceux qui osent s’exprimer contre elle. De cette prise du pouls d’une société rompue aux diktats d’un pouvoir violent émerge le portrait d’un groupe d’êtres réunis en raison d’un quotidien dans lequel tout, décidément, peut arriver. Par exemple, se retrouver à retarder sa propre cérémonie de mariage et à voyager dans une petite voiture remplie à ras bord, assis sur un coffre contenant un ancien tortionnaire !
Tassés dans cette voiture, les personnages, pourtant fort différents les uns des autres, apprennent à se connaître, livrent ce qu’ils ont sur le cœur, souvent avec des larmes et des cris de colère ou de détresse. Cela recouvre le film, en permanence, d’une émotion à fleur de peau. Cette irruption brutale, quasi grotesque, du hasard des rencontres dans la vie fait l’éloge gracieux de l’inattendu, donc de la poésie et de la beauté. Ce constat est d’autant plus fort que l’on suit, pour rappel, un récit sur fond d’enlèvement et de violence.
Cela prouve, surtout, à quel point le cinéaste maîtrise son art en équilibriste des émotions contrastées et surprenantes. C’est un acte plein d’audace et de force qu’il signe en nous interrogeant, moralement et politiquement, sur la façon avec laquelle il faudrait traiter quelqu’un qui nous aurait torturé. Ce dilemme s’avère d’autant plus puissant qu’il prend naissance dans un film humaniste qui défend la nuance, dans lequel l’humour absurde et burlesque a même sa place. C’est dire à quel point Un simple accident est exceptionnel et incontournable.
Nicolas Bruyelle, les Grignoux
